Octobre 2018: traitement des BLSE, Pip taz ou Pip naze ?
JAMA. 2018;320(10) :984-994.
doi:10.1001/jama.2018.12163
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Introduction
Nous sommes dans un cercle vicieux. Les infections à BLSE sont en recrudescence. L'antibiothérapie de référence, les carbapénèmes, fait émerger des carbapénémases ce qui rend les choix thérapeutiques d'autant plus réduits. Des stratégies utilisant de vieux antibiotiques ayant gardé une activité anti-BLSE car possédant un inhibiteur des bêta-lactamases sont rediscutées depuis quelques années.
L'objectif de cette étude était d'évaluer la non-infériorité de l'un d'entre eux, la pipéracilline-tazobactam (tazo), par rapport au meropenem (mero) dans les bactériémies à entérobactéries type E. coli ou Klebsiella spp.
Méthodes
Essai thérapeutique contrôlé randomisé multicentrique ouvert en groupes parallèles. Les patients inclus ont une bactériémie à E. coli ou Klebsiella spp. résistantes à la ceftriaxone et sensible à la tazo. Après une phase de traitement empirique non contrôlée, dès réception de l'antibiogramme et inclusion, après stratification selon la bactérie, la source (IU/autre) et le score de Pitt (>/≤ 4), le groupe contrôle recevait mero 2gx3/j et le groupe à l'étude recevait tazo 4gx4/j (perfusions courtes) pour un minimum de 4j et maximum de 14j.
Le critère de jugement principal (CJP) était la mortalité toutes causes à 30j post-randomisation. Basé sur une mortalité J30 à 14% dans le groupe mero, un seuil de non-infériorité du CJP de 5% (surmortalité acceptée du groupe tazo), une puissance de 80%, un risque alpha unilatéral de 2.5%, et un taux de perdu de vue de 10%, 454 patients devaient être inclus. L'analyse principale était en ITT modifiée (patients ayant reçu au moins une dose d'ATB).
Résultats
391 patients ont été randomisés (arrêt précoce de l'étude pour futilité après analyse intermédiaire au 340ème patient). 86% des patients avaient un E coli. Il y avait plus d'IU et d'immunodéprimés dans le groupe tazo. Il ne s'agissait pas de malades graves en moyenne, même si l'APACHE II était plus haut dans le groupe mero (21 vs 18).
La mortalité J30 dans le groupe tazo était de 12,3% et celle du groupe mero de 3,7% (IC 97,5% [-∞;+14,5] p=0,9). Aucun critère de jugement secondaire comme la guérison microbiologique ou la récidive microbiologique n'était différent.
Discussion
De nombreux points ont été reprochés à cette étude.
Sur le plan statistique d'abord, les auteurs en fin d'abstract et dans l'éditorial qui l'a accompagné nous semblent condamner un peu vite les alternatives aux carbapénèmes. On ne peut en effet pas tirer d'une étude de NI négative une supériorité. Surtout quand pour cela il nous faudrait avoir une borné inférieure de l'IC de la différence de mortalité ne coupant pas 0, Chose impossible ici vu le choix d'un test unilatéral.
Mais de nombreuses faiblesses cliniques ont été aussi pointées. Fiabilité incertaine du diagnostic de sensibilité des souches à la tazo, 12% d'AmpC (tazo R) et non de BLSE sans que l'on en connaisse la répartition dans les 2 groupes, absence de perfusion prolongées de tazo, absence d'information sur l'utilisation concomitante d'aminosides (plus de 50% d'IU !), taux de contrôle du sepsis à l'inclusion de 50%, causes de décès toutes attribuées à une cause autre que la bactériémie. Enfin, le taux de mortalité plus important des patients recevant une antibiothérapie inadéquate par rapport à adéquate (14.3% vs 8.2% dans le groupe tazo) laissait craindre que d'autres déterminants de la mortalité, telle que l'éradication de la source infectieuse, n'aient pas été équilibrés.
Contrairement à l'éditorial du JAMA, nous ne pouvons, suite à cette étude conclure que « la tazo ne devrait plus être utilisée » en cas de sepsis contenant une entérobactérie résistante aux C3G et sensible à tazo. Nous devons par contre nous assurer, si nous tenons à ce choix d'épargne dont les intérêts sont collectifs et de long terme, de la protection du cas singulier que nous traitons en optimisant l'administration de la tazo, en lui adjoignant un aminoglycoside en cas d'IU, en éradiquant si besoin et le plus rapidement possible la source de l'infection.
Présents
Drs Perfetti, Cayrol, Bui, Champion, Prs Vargas, Hilbert, Gruson, Boyer (Médecine Intensive Réanimation GH Pellegrin), Dr Moisan (Déchocage GH Pellegrin), Drs Petit, De Molliens (Réanimation chirurgicale GH Pellegrin) Dr Rozé (Réanimation GH Sud Magellan), Drs Berdaï, Pageot (Pharmacologie GH Pellegrin)
Experts
Dr Camou (Médecine Intensive Réanimation Hopital Sait André) Pr Cazanave (Maladies Infectieuses, GH Pellegrin)
26 octobre 2018
Posté le 14/02/2019 à 12:39 par Isabelle BALLIGAND