MAI 2023 Jeûne pré extubation, pas forcément !

Continued enteral nutrition until extubation compared with fasting before extubation in patients in the intensive care unit: an open-label, cluster-randomised, parallel-group,
non-inferiority trial. Lancet Resp Med 2023

https://doi.org/10.1016/S2213-2600(22)00413-1

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Introduction

Le jeûne pré-extubation est une méthode fréquemment utilisée pour diminuer le risque de pneumopathie d'inhalation. Cependant, il existe une grande hétérogénéité des pratiques dans les services de réanimation (jeûnes allant de 2 à 12h avant extubation).  D'autre part, l'intubation et l'extubation sont deux périodes à risque de carence calorique. L'objectif de l'étude est de montrer que continuer la nutrition entérale jusqu'à extubation n'est pas inférieur au fait de la réaliser après une période de jeûne de 6h.

Méthodes

Il s'agit d'un essai clinique français multicentrique, ouvert, randomisé, mené d'avril 2018 à nov 2019 dans 22 réanimations. Sont inclus les patients > 18 ans sous ventilation mécanique ≥48h et qui ont reçu ≥24h de nutrition entérale. Les principaux critères d'exclusion étaient femme enceinte, décision de ne pas intuber le patient, patient trachéotomisé, nutritions entérales post pyloriques. Le critère de jugement principal est la réintubation et/ou le décès dans les 7 jours après l'extubation. D'autres critères de jugement secondaires étaient mesurés dont principalement la durée d'hospitalisation en réanimation, l'échec de l'extubation à 48h et à 72h, la quantité de calories ingérées par jour (la veille, le jour même et le lendemain) ainsi que le taux de pneumopathie nosocomiale dans les 14j post extubation (analysé en aveugle). La randomisation a été effectuée en cluster à l'aide d'un système centralisé, c'est-à-dire que les centres ont été répartis entre les deux bras de l'étude en amont de l'inclusion du premier patient, puis tous les patients inclus dans un centre donné se sont vu appliquer l'intervention/contrôle selon le bras de randomisation. Les centres ont été stratifiés en fonction de leur statut hospitalo-universitaire et de leur recrutement.

Le groupe intervention est formé de patients ayant continué la nutrition entérale jusqu'à l'extubation sans modification du débit de nutrition alors que le groupe contrôle est formé de patients ayant réalisé un jeûne d'au moins six heures ainsi qu'une aspiration de liquide gastrique en continu durant au moins 6 heures avant l'extubation.

Pour montrer la non infériorité du groupe nutrition, pour un taux d'échec estimé à 16 % dans le bras contrôle (jeûne) une marge d'infériorité de 10 % a été prise en compte, avec un risque alpha 2,5 % et risque bêta à 80 % aboutissant à un nombre de sujets nécessaire de 1100.

 

Résultats

Sur les 4198 patients éligibles dans l'étude, seulement 1168 ont été inclus (513 dans le groupe jeûne et 617 dans le groupe nutrition). Les patients étaient majoritairement âgés (médiane à 61,7 ans groupe nutrition et 64,1 ans groupe jeûne), en surpoids (IMC à 27) et avaient de nombreuses comorbidités (BPCO, syndrome d'hypoventilation obésité,). À noter qu'il existait plus de patient présentant un déficit neurologique dans le groupe jeûne que dans le groupe nutrition. À l'extubation, les patients dans le groupe jeûne avaient reçu plus de corticoïdes pour la prévention de l'œdème laryngé tandis que la capacité de toux était meilleure dans le groupe nutrition.

Au total, les interventions des deux groupes ont globalement bien été respectées, mais les patients dans le groupe nutrition ne recevaient finalement en médiane que 284 kcal de plus que les patients du groupe jeûne le jour précédant l'extubation alors que c'était l'inverse le jour d'après (-186 kcal). Le groupe nutrition était associé à une extubation plus précoce  (2h (1 à 4.4h) vs 17.6h (3.4 à 26.8h). Il n'y avait pas plus de réintubation et/ou de décès dans les 7 jours après l'extubation dans le groupe nutrition (17.2%)  par rapport au groupe jeûne (17.5%) (CJP ; différence absolue -0.4, 95% CI -5.2 à 4.5). Par contre, il y avait plus d'échec d'extubation à 48h (+3.9% (-0.1 à 7.9%) et à 72h (+4·2% (-0.1 à 8.6%) dans le groupe nutrition. Il y'avait une tendance à plus de décès dans le groupe jeune (+2.9% (-0.5 à +6.4). Il n'y avait significativement pas plus de pneumopathie nosocomiale dans un groupe par rapport à l'autre.

 

Discussion

 

Les différents intervenants s'accordent à dire que les résultats bénéficient d'une validité interne satisfaisante, la non infériorité étant tout à fait adaptée à cet essai puisqu'il s''agit d'un gain en terme de nutrition sans augmenter le risque de réintubation, la puissance ayant été adéquate et une analyse per protocole ayant rapporté des résultats robuste avec l'analyse en ITT. Une discussion a néanmoins lieu autour de la balance bénéfice-risque de la randomisation en cluster. Cette randomisation autorise une sélection potentielle des investigateurs qui savent dans quel bras un patient va être inclus. On remarque ainsi qu'un nombre substantiel de patients n'ont pas été inclus dans les deux bras (386 et 566 dans le bras nutrition versus jeûne respectivement). Néanmoins la décision reportée par les investigateurs concernant ces non-inclusions est un manque de temps et non une sélection. Deuxièmement cette randomisation peut être responsable de différences plus importantes à baseline : mais elles peuvent être perçues comme équilibrées puisque le groupe nutrition a plus de BPCO et de patients difficiles à sevrer alors que le groupe jeûne a plus de cause neurologique d'intubation, une plus mauvaise toux, moins de kiné, plus de facteurs de risque d'échec d'extubation. À noter tout de même qu'une grosse différence dans l'administration de corticoïdes est mise en évidence en faveur du groupe jeûne (48% vs 17%). Cette différence peut être liée au timing du sevrage plus rapide dans le groupe nutrition ce qui ne laisserait pas le temps de faire les corticoïdes essentiellement prescrits en préventif. Malheureusement, on n'a pas de donnée comparative entre les groupes sur des facteurs jouant un rôle sur la motilité gastrique comme la prescription d'IPP ou le diabète.

Une discussion a lieu également sur le moment où a été recueilli le critère principal de jugement car on peut voir qu'à J2 ou J3 il y aurait plus de réintubation et/ou décès dans le groupe nutrition que dans le groupe jeûne. Nous pouvons déduire qu'entre J3 et J7 il y a eu plus de réintubation du groupe jeûne qui avait plus de cause neurologique d'intubation et plus de facteurs de sevrage difficile. Il n'est donc pas écarté que la mauvaise répartition initiale sur ce facteur ait pu jouer un rôle de facteur de confusion persistant.

L'effet sur les calories est faible car il semble que l'avantage en termes de nutrition pré extubation ait été compensé par une plus grande prudence de nutrition en post extubation. Il est à noter enfin que le volume gastrique extrait pendant les 6 heures d'aspiration du groupe jeune était en médiane de 20 ml, ce qui est faible.

 

Conclusion 

La majorité des présents ne penche pas pour une modification de nos pratiques en raison des quelques doutes émis lors de la discussion mais est d'accord pour ne pas reculer l'extubation des patients chez qui l'arrêt de la nutrition n'a pas été anticipé.

 

Présents

Drs Champion, Godard, Guillotin, Sazio, Orieux, Mourissoux et Prs Boyer et Gruson, MIR GHP et GSA CHU Bordeaux ; Dr Berdaï Pharmacologie GHP CHU Bordeaux; Dr Romen Réanimation CH Pau ; Dr Sement Réanimation Mont de Marsan 

Pr Ehrmann MIR CHU Tours, investigateur principal de l'étude.