JANV 2020: REVENONS AUX BASIQUES DE L'ACIDOSE

Sodium bicarbonate therapy for patients with severe metabolic acidaemia in the intensive care unit (BICAR-ICU): a multicentre, open-label, randomised controlled, phase 3 trial

 

Lancet Juin 2018 DOI: 10.1016/S0140-6736(18)31080-8

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INTRODUCTION :

L'acidose métabolique sévère est fréquente en réanimation (6% des patients) et associée à un très mauvais pronostic (jusqu'à 57% de décès). La perfusion du bicarbonate de sodium apparaît comme une option séduisante dans l'attente de l'initiation d'un traitement étiologique ou pour temporiser et éviter une éventuelle EER. Les experts le recommandent lors de pertes excessives de bases mais cela demeure controversé dans les autres types d'acidose. L'essai Bicar-ICU a donc pour but d'évaluer l'impact clinique du bicarbonate de sodium dans l'acidose métabolique sévère chez des patients de réanimation.

MÉTHODES :

Il s'agit d'un essai clinique français de phase 3, randomisé (stratification selon l'âge, la présence d'un sepsis et le score AKIN (Acute Kidney Injury Network 1 à 3)), ouvert et multicentrique (26 centres). Les patients devaient être  admis en réanimation depuis ≤48h, SOFA³4 ou lactatémie³2 mmol / L et une acidose métabolique sévère  définie par : pH≤7.20, PaCO2≤45 mmHg, [HCO3-]≤20 mmol/L. Étaient exclus les patients présentant une acidose respiratoire, une acido-cétose, une perte de bicarbonate >1,5L/j (rénale ou digestive) une insuffisance rénale chronique de stade 4, ou les patients ayant déjà bénéficié d'une perfusion de bicarbonate dans les 24h avant l'éligibilité. Le groupe témoin ne bénéficiait d'aucune perfusion de bicarbonate, le groupe bicarbonate recevait du bicarbonate de sodium 4,2% titré pour maintenir le pH³7.30 jusqu'à la sortie d'hospitalisation ou J28 et plafonné à 1000 ml dans les 24 h après l'inclusion.

Le critère de jugement principal était composite : décès toutes causes à J28 et/ou la persistance d'au moins une défaillance d'organe à J7. L'analyse principale était effectuée en intention de traiter. L'hypothèse statistique était de montrer une diminution du CJP de 45% groupe contrôle à 30 % groupe bicarbonate. Pour un risque α bilatéral de  3% et une puissance β de 80%, 376 sujets devaient être inclus.

 

RÉSULTATS :

Au total, 400 patients ont été randomisés parmi les 942 éligibles et 389 patients ont été analysés (12 ont retiré leur consentement) :194 patients groupe témoin et 195 patients groupe bicarbonate.  La population était de 60% d'hommes, avec un âge médian de 65 ans.  Il s'agissait de malade graves avec un score SOFA moyen à 10, qui présentaient pour 47% d'entre eux une insuffisance rénale aigue modérée à sévère (AKIN 2-3), et pour 60% un sepsis. 83% ont eu recours à la ventilation invasive et 80% à un traitement vasopresseur.

Aucune  différence significative n'a pu être mise en évidence sur le CJP survenu chez 138 des 194 patients (71%) groupe témoin et chez 128 des 195 patients groupe bicarbonate (66%) : différence absolue -5,5%, IC95% [-15.2 à 4.2] p=0,24. Pas de différence significative non plus sur la survie à J28 entre les deux groupes (54% vs 45%; -9.0 IC95% [-19.4 à 1.4] p=0.09).

Dans la strate des patients avec score AKIN ³ 2, il existait une différence significative sur le CJP et sur la survie à J28 en faveur du groupe bicarbonate (respectivement -12.3 % ; IC95% [-26 à -0.1] p=0.046 et -17.7% ; IC95% [-33 à -2.3] p=0.017). Une réduction de 16,7% IC95% [-26.4 à -7] p=0.0009 du recours à l'EER dans le groupe bicarbonate était également observée.

 DISCUSSION :

Les experts et les différentes personnes présentes ont tout d'abord noté dans la justification de l'étude l'impasse faite sur les effets positifs de l'acidose sur la protection des organes et les effets négatifs du bicarbonate sur l'acidose intracellulaire. Le risque osmolaire du bicarbonate n'est pas non plus discuté.


Aucun résultat significatif n'est noté dans le groupe d'analyse principal avec le critère de jugement principal. Concernant l'analyse de sous-groupe, même stratifiée, des patients ayant une insuffisance rénale (AKIN 2-3), un problème important est pointé.

En effet cette étude a permis l'inclusion d'acidose métabolique sans analyse du trou anionique plasmatique. On ne peut que suspecter qu'aient été inclues des acidoses métaboliques par perte de bicarbonate. Cela pourrait expliquer l'amélioration du CJP dans ce sous-groupe avec le traitement par bicarbonate.

Au total, il n'est donc pas clair que ce traitement convienne aux acidoses métaboliques par excès d'acides.


Concernant le moindre recours à l'épuration extrarénale dans le groupe bicarbonate, il était attendu que le bicarbonate - quelle que soit la cause de l'acidose et donc la pertinence physiologique à administrer du bicarbonate - refasse passer le pH >7.20 (cut-off décidé par les auteurs). Si la décision d'EER, ne tenait qu'à cela sans préjuger de la cause d'acidose métabolique, le moindre recours s'explique. Mais en pratique clinique on ne décide pas du recours à l'EER en fonction d'un seuil mais aussi d'une physiopathologie de l'acidose. Une acidose lactique n'entrainera  par exemple pas la même décision qu'une acidose par perte digestive.


Enfin, les présents relèvent que, si le bicarbonate ne s'est pas avéré efficace, il n'a pas montré non plus d'effets secondaires significatifs.

Au total plusieurs problèmes importants dans cette étude ne peuvent pas conduire à une prise en charge par bicarbonate de toute acidose métabolique. Une étude BICAR ICU 2 est en cours ayant pour objectif spécifique d'évaluer l'indication des bicarbonates chez des patients ayant une insuffisance rénale aigue et une acidose métabolique sévère.

 

PRESENTS :

Drs Guisset, Mourissoux, Sazio, Clouzeau, Gros, Poteau, Prs Gruson, Boyer, Médecine intensive réanimation GH Pellegrin et GH Saint-André, Dr Fleureau, Réanimation GH Sud, Drs Petit, Cottenceau, Carrié, Lafitte, Sauvage, Réanimation chirurgicale GH Pellegrin

 

EXPERTS :

Dr Rubin Néphrologie, Transplantation, Dialyse, GH Pellegrin

Drs Joannes-Boyau et Dewitte, Réanimation GH Sud