FEV 2019: caplacizumab dans le PTT auto immun

Caplacizumab treatment for acquired Thrombotic Thrombocytopenic Purpura, étude HERCULES

Lien article janvier 2019
https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMoa1806311
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Introduction

La mortalité du PTT auto immun (PTTai) en l'absence de traitement est supérieure à 90%, et elle a été réduite à environ 10-20% avec les thérapeutiques actuelles comprenant les échanges plasmatiques (EP) et les traitements visant à la diminution de production des anticorps anti-ADAMTS13 (corticothérapie et rituximab). Le Caplacizumab (CAP) est un nouvel anticorps monoclonal qui se fixe au domaine A1 du facteur  Von-Willebrand (qui s'accumule en multimères par défaut de l'activité ADAMTS13) et empêche l'adhésion plaquettaire à l'origine de la symptomatologie clinique.

 Méthodes

Essai contrôlé randomisé multicentrique (92 centres), double aveugle contre placebo visant à tester l'efficacité du CAP dans le PTTai à la phase aigüe ayant déjà reçu au moins un EP. Les patients des 2 groupes recevaient des EP comme recommandé, les traitements immunosuppresseurs adjuvants étant laissés à la discrétion des médecins. Le CAP ou placebo était utilisé à la dose de 10 mg en ss-cut quotidienne jusqu'à J30. Le critère principal de jugement était le délai de réponse qui correspondait délai de normalisation des plaquettes (>150 G/L). Un critère composite associant les décès, les récurrences biologiques (exacerbation <J30 et rechutes >J30) et les évènements thromboemboliques. Les PTT réfractaires dans chaque groupe étaient également comparés. Le calcul d'effectif prévoyait d'inclure 132 patients pour détecter un délai de réponse plus court de 40% avec une puissance de 80%.

Résultats

145 patients ont été randomisés (72 CAP et 73 placebo) sans différence basale autre que le pourcentage de PTT récurrent plus important dans le groupe placebo. Concernant les traitements annexes, les patients du groupe CAP recevaient plus de RTX (48 vs 39%).

Le délai de normalisation plaquettaire était significativement plus court avec le CAP vs placebo : 2,69j (IC95% ;1,89-2,83) vs 2,88j (IC95% ; 2,68-3,56) p=0,01. Le critère composite était diminué dans le groupe CAP (12%) vs placebo (49%), p<0.001, avec un poids prépondérant des exacerbations qui étaient moins fréquentes dans le groupe CAP (3 vs 28), vs les décès 3 vs 0 et les ETE 6 vs 6. Il n'y avait aucun PTT réfractaire dans le groupe CAP contre 3 dans le groupe placebo. La durée d'hospitalisation et le volume d'EP étaient inférieurs dans le groupe CAP. Durant le suivi, 6 patients du groupe CAP ont rechuté, versus aucun dans le groupe placebo, ces 6 patients avaient une activité ADAMTS13 indétectable à la fin du traitement par CAP.

Les événements indésirables et notamment les saignements survenaient chez 65% des patients du groupe traitement versus 48% du groupe placebo : les événements décrits comme sérieux étaient plus fréquents dans le groupe CAP (epistaxis..).

Discussion

Après avoir salué la conduite d'un essai sur une maladie rare, la discussion s'ouvre sur l'interprétation des résultats.

La durée de thrombopénie (plaquette < 150G/L) est réduite de manière statistiquement significativement dans le groupe CAP, confirmant l'effet biologique de la molécule (normalisation plus rapide du taux de plaquette). L'impact biologique décrit par les auteurs sur le temps médian de correction de la thrombopénie (2.88j versus 2.69j, résultat trouvé en annexe seulement) pose néanmoins la question de la pertinence de cette faible différence. Les auteurs ont préféré mettre en évidence une estimation de son effet plus confuse: « à tout moment la probabilité d'avoir un taux de plaquette normalisé est 1.5 fois supérieur avec le CAP qu'avec le placebo » : qu'est-ce que cela signifie exactement ?

Le choix du critère de jugement principal (délai de correction des plaquettes), purement biologique, ne nous semble pas le plus pertinent pour juger de l'efficacité de ce traitement. De même, le taux de récurrence de PTT défini par une rechute du taux de plaquettes, donc directement connecté à l'activité du CAP, est logiquement abaissé dans ce groupe. C'est le seul critère de jugement à avoir montré une différence significative au sein du critère composite (décès + évènements thromboemboliques + récurrence). Bien que la thrombopénie soit un marqueur de l'activité de la maladie, sa correction plus rapide ne s'est donc pas traduit en résultats cliniques concrets (AVC, IDM, défaillances d'organe..). La mortalité (O versus 3 décès) est non statistiquement significative, ce qui peut être dû soit au hasard, soit à un manque de puissance, notamment du fait de la moindre gravité des patients de l'essai par rapport à la vraie vie (inclusion après un EP et peu d'atteinte cardiaque/neuro, loin des 15% de mort dans les 2 semaines de prise en charge).

Comme la décision de continuer les EP dépendait du taux de plaquettes, il est également inévitable que la quantité d'EP ait été diminuée dans le groupe CAP. Ceci pose la question du rôle des EP dans cette pathologie : sont-ils un traitement suspensif, apportant de l'ADAMTS13 pour permettre d'éviter des complications graves le temps de contrôler la maladie immunologique (le CAP ayant un effet également suspensif en empêchant la formation de nouveaux thrombi), ou bien sont-ils également un traitement étiologique immuno-suppresseur (clairance de l'Ac anti-ADAMTS13) ? Autrement dit, l'arrêt plus précoce des EP du groupe CAP est-il un effet positif pour le patient ? Ce n'est pas si sûr: en effet comment expliquer le taux de rechute (>J30) plus important dans le groupe CAP ? On peut ainsi faire l'hypothèse que l'arrêt prématuré des EP dans le groupe CAP soit à l'origine de ce taux de rechute plus important.

Cependant, une autre différence pourrait expliquer ce résultat. En effet, le traitement de fond par RTX n'est pas identique dans les 2 groupes (48% dans le groupe placebo vs 39% dans le groupe CAP, et 30% vs 17% pour la période en aveugle). Cette dernière hypothèse est d'autant plus plausible que le RTX était laissé à la libre prescription des investigateurs et qu'il est prescrit sur une insuffisante efficacité des EP jugée elle-même sur la remontée plaquettaire. Le CAP a donc pu entrainer un effet indirect regrettable par arrêt trop précoce des EP et moindre utilisation de RTX. Ceci explique pourquoi les protocoles proposés par le CNR MAT dorénavant comporteraient du RTX systématiquement et précocement (médiane de remontée des plaquettes de 12j après RTX). Mais, à ce jour, aucun essai RTX + EP contre EP seul n'est venu valider cette démarche alors qu'on sait qu'environ 20% des patients n'auraient pas besoin de RTX, les corticoïdes étant alors seuls efficaces sur la maladie auto-immune. On ne connait pas bien les effets secondaires du RTX au long cours, notamment sur le risque infectieux.

Le CAP pose deux questions supplémentaires. Il entraîne plus d'évènements hémorragiques, certes mineurs (gingivorragies, épistaxis), mais il est surtout très cher (environ 8000 euros à J1 et 4000 euros les jours suivants pour 30j minimum soit un coût total du traitement de 124000 euros minimum, si on applique le protocole de cette étude). Ce coût majeur ne peut se justifier qu'au regard de résultats cliniquement plus pertinents et plus clairs.

Conclusion

Bien que le CAP semble intéressant aux intervenants, l'AMM accordée parait très large et inadaptée compte tenu des résultats de cette étude. Nous sommes également dans l'attente de l'avis indépendant de la Commission de la Transparence de la HAS.

Les intervenants discutent aussi de la nécessité, avant tout décision d'introduire le CAP dans nos pratiques, de conduire une autre étude, indépendante (les 4 derniers auteurs de la présente étude sont membres du laboratoire ABLYNX qui produit le CAP, la plupart des auteurs ont des liens d'intérêt avec cette même société), dont le traitement immunosuppresseur serait contrôlé (par exemple en adjoignant dans chaque groupe aux EP le RTX en fonction du suivi de l'activité anti ADAMTS13 et non en fonction des plaquettes).

L'étude CAPLAVIE suivra ce protocole mais ne sera pas une étude randomisée vs placebo et n'aura pas le même niveau de preuve.

Présents

Drs Sazio, Bui, Poteau, Champion, Perfetti, Gros et Prs vargas, Hilbert, Gruson, Boyer, Médecine Intensive Réanimation GH Pellegrin, Dr Laluque (Institut Bergonié), Drs Pageot et Berdaï (Pharmacologie, GH Pellegrin)

Expert

Dr Delmas, Néphrologie-Dialyse-Transplantation-Aphérèse, GH Pellegrin