NOVEMBRE 2020: Tocilizumab dans la COVID-19: pas de preuve !
doi:10.1001/jamainternmed.2020.6615
- Effect of Tocilizumab vs Usual Care in Adults Hospitalized With COVID-19 and Moderate or Severe Pneumonia. A Randomized Clinical Trial
JAMA Intern Med. Published online October 20, 2020.
doi:10.1001/jamainternmed.2020.6820
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Introduction commune aux deux études
Le SDRA de la CIVOD-19 est lié à un état hyper-inflammatoire comprenant nombre de cytokines pro-inflammatoires (orage cytokinique), l'une des plus prédominantes étant l'interleukine 6 (IL-6). Le tocilizumab (TCZ), anticorps monoclonal anti-récepteur de l'IL-6 humain (IL-6R). Deux études multicentriques ont testé son efficacité et sa sécurité d'emploi dans la COVID-19 et sont présentées ci-dessous. L'une est italienne, l'autre française.
doi:10.1001/jamainternmed.2020.6615
Méthode
Il s'agit d'une étude multicentrique menée de mars à juin 2020, contrôlée, ouverte, randomisée et portant sur 24 centres italiens. Les patients inclus avaient une PCR SARS-CoV-2 positive avec une insuffisance respiratoire aigüe (Pa02/Fi02 de 200 à 300) inflammatoire (température > 38°C sur les 2 derniers jours et/ou CRP ≥ 10 mg/L et/ou CRP x 2 par rapport à l'admission). Ils n'étaient pas en réanimation à l'inclusion. Le groupe contrôle bénéficiait de soins de supports standards et le groupe expérimental recevait deux injections de tocilizumab 8 mg/kg (maximum 800 mg, 12h d'intervalle). Le critère de jugement principal composite, évalué à J14, était défini par le décès et/ou l'intubation selon des critères prédéfinis. Le calcul d'effectif a établi la nécessité d'inclure 199 patients par bras pour une puissance de 80%, un risque alpha de 5% et une réduction relative du CJP (critère de jugement principal) de 50% (20% dans le bras témoin,10% dans le bras expérimental).
Résultats
L'essai a été arrêté précocement pour futilité, après avoir recruté 126 patients. Au total, l'analyse en ITT a porté sur 123 patients (60 dans le bras expérimental et 63 dans le bras témoin). L'âge moyen était de 60 ans. Le groupe témoin présentait plus d'obésité et de traitements annexes type antirétroviraux et hydroxychloroquine, alors que plus d'hommes et un taux basal d'IL6 plus élevé était constaté dans le bras tocilizumab. La population d'étude n'était pas composée de patients très sévères (mortalité à 2,4%), seulement 11 d'entre eux ayant finalement été admis en réanimation.
Le résultat sur le CJP était non significatif à J14 : RR 1,05 (IC 95% ; 0,59-1,86). Il n'y avait pas non plus de différence significative mise en évidence sur les critères secondaires et sur l'analyse per protocol portant sur 113 patients [RR 0,87 (0,48 - 1,56)]. Pour finir, on peut souligner l'absence d'effet indésirable grave inattendu lié à l'anti-IL6 (neutropénies et cytolyses hépatiques décrites, effets secondaires connus).
Effect of Tocilizumab vs Usual Care in Adults Hospitalized With COVID-19 and Moderate or Severe Pneumonia. A Randomized Clinical Trial
JAMA Intern Med. Published online October 20, 2020.
doi:10.1001/jamainternmed.2020.6820
Méthode
Il s'agit d'une étude multicentrique, contrôlée, ouverte, randomisée, française. 130 patients ont été inclus dans la cohorte CORIMUNO-TOCI-1 s'ils avaient une infection confirmée (positive sur rRT-PCR et/ou TDM typique) avec une pneumonie modérée à sévère (O2> 3 L/Min = Score OMS à 5) sans nécessité de recours à l'oxygénothérapie nasale haut débit, à la ventilation non invasive, à la ventilation mécanique. Les patients ont été répartis en 2 groupes : TCZ avec soins standard (groupe TCZ) ou soins standard seuls (groupe UC = Usual Care). Le TCZ a été administré par voie intraveineuse à 8 mg/kg J1. Une administration d'une dose fixe supplémentaire de TCZ, 400 mg IV, à J3 était recommandée si les besoins en oxygène n'étaient pas réduits de plus de 50%. Le reste des traitements dans les deux groupes était laissé à la discrétion des cliniciens. Les 2 critères de jugement principaux étaient : 1) La proportion de patients ayant nécessité une ONHD et/ou VNI et/ou intubation et ventilation invasive à J4 2) La survie à J14 sans besoin de ONHD et/ou VNI et/ou intubation et ventilation invasive. Le calcul d'effectif était complexe, aboutissant à 120 patients par groupe pour une puissance de plus de 90% d'obtenir une réduction de 50% à 20% du taux de patients correspondants au CJP.
Résultats
131 patients ont été inclus (64 TCZ, 67 usual care). L'âge médian était de 64 ans. Aucune différence notable n'existait entre les deux groupes à baseline. A J4, 12 des 63 patients du groupe expérimental (19%) avaient un score OMS-CPS supérieur à 5 (recours à l'ONHD, VNI, VM ou décès) contre 19 sur 67 (28%) dans le Groupe UC (différence -9% ; IC 90% (-21 +3,1)). A J14, l'incidence cumulée du CJP (VNI, OHND, VM ou décès) s'est produit chez 15 patients du groupe TCZ (24%) et 24 patients dans le groupe UC (36%) (différence -12% ; IC 95% (-28 +4)). Le hazard ratio était de 0,58 (90% CI ; 0,33-1 et IC 95% ; 0,3-1,11). Par ailleurs, l'étude montrait une absence d'effets indésirables supplémentaires dans le groupe TCZ et une absence de différence sur la mortalité à J28 (OR 0,92; 95% CI 0,33-2,53).
Discussion commune
Les deux études sont négatives. Le calcul du HR de l'étude française montrant une significativité du HR de réduction du CJP à J14 présente plusieurs limites incluant la multiplicité des tests, une construction statistique complexe et une modification du niveau de risque alpha prévue par les auteurs de 5 à 10% !
Pourquoi ces études sont-elles négatives ?
- Le tocilizumab semble avoir été bien toléré. Il s'agit donc d'un manque d'efficacité, dans une population de patients non sévères lorsqu'ils sont inclus et dont une proportion minime aura besoin des techniques de réanimation (<10% dans l'étude italienne et environ 30% dans l'étude française à J14). Le problème de puissance évoqué par les auteurs français n'est pas soutenu par les résultats des autres essais. A noter toutefois que les groupes de l'étude française n'étaient pas équilibrés en matière de traitement adjuvant tels que la corticothérapie, ce qui dans une étude non aveugle a pu jouer un rôle.
- Selon nos experts pharmacologues, le caractère trop ciblé sur l'un des nombreux acteurs de la cascade inflammatoire et de la coagulation qui caractérisent les atteintes septiques, peuvent expliquer cette différence d'efficacité en comparaison avec les corticoïdes.
Faut-il continuer le Tocilizumab pour les patients les plus graves ? L'étude française ne permet pas d'y répondre car non construite pour cela. L'étude italienne concerne des patients ayant des rapports PF <300 et n'a pas montré de bénéfice. De plus, les dosages d'Il6 ayant tendance à se normaliser au cours du temps, l'inclusion de patients plus tardive, comme ce serait le cas avec les patients de réanimation, aurait moins de chance de fonctionner.
Conclusion
Le Tocilizumab ne parait pas être utile dans la prise en charge de la COVID-19 afin d'éviter le recours aux techniques d'oxygénation utilisées en réanimation.
Présents
Drs Bui, Clouzeau, Champion, Sioniac et Prs Boyer, Gruson (Médecine Intensive Réanimation, GH Pellegrin), Dr Godard, (Réanimation, CH Dax), Dr Lopez (Unité Surveillance Continue, CH Oloron Sainte Marie), Dr Pujol (Réanimation, Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine), Dr Fayolle (Unité de Surveillance Continue, CH Arcachon), Drs Guisset, Acquier, Mourrissoux (Médecine Intensive Réanimation, GHSA), Pr Molimard et Dr Berdaï (Pharmacologie Médicale, GH Pellegrin).