Présentation des premiers résultats du projet de recherche sur le sevrage tabagique des femmes enceintes "5A-QUIT-N"

La lutte contre le tabagisme est une priorité de santé publique de premier plan. Depuis plusieurs années, les politiques publiques œuvrent en faveur de la réduction et de la débanalisation du tabagisme, notamment avec les mesures associées au programme de réduction du tabagisme 2014-2018, puis au programme de lutte contre le tabac de 2018 à 2022. L'enjeu du tabagisme est donc majeur, et particulièrement durant la grossesse, puisqu'il induit de nombreux risques, dont par exemple le risque de fausse couche et d'accouchement prématuré.
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Conférence de presse
De gauche à droite : Marie-Claude Rougier, Pr François Alla, Marianne Lavignon, Pr Loic Sentilhes, Dr Adrianna Burtin, Marion Lefay

Le tabagisme pendant la grossesse en France

Le tabagisme lors de la grossesse représente une priorité des politiques de santé : en Nouvelle-Aquitaine. À l'heure actuelle, de nombreux programmes, interventions et outils efficaces visant la réduction du tabagisme de la femme enceinte existent. Par ailleurs, les pouvoirs publics et les organisations locales de soins proposent de nombreuses actions à destination de ce public. Malgré cette forte mobilisation, chez les femmes enceintes, la prévalence du tabagisme stagne depuis 2010, alors qu'elle diminue en population générale.
L'accompagnement par un professionnel de santé joue un rôle majeur dans le sevrage tabagique, puisque lorsqu'un fumeur de tabac est accompagné par un professionnel de santé, il double ses chances de réussite de sevrage à 6 mois. Néanmoins, en France, parmi les femmes enceintes fumant du tabac, plus de la moitié n'ont reçu aucun conseil d'arrêt de la part de professionnel de santé lors de leur grossesse.

Le projet 5A-QUIT-N

De nombreux outils, interventions et méthodes ont prouvé leur efficacité : l'enjeu ne réside donc pas dans la création d'une nouvelle méthode de sevrage tabagique. L'ossature du projet 5A-QUIT-N mobilise donc une méthode existante ; la démarche des 5A, qui sont les 5 étapes à effectuer pour prendre en charge le tabagisme d'une patiente lors d'une consultation : demander si la patiente fume (ask), lui proposer d'arrêter (advice), évaluer sa situation (assess), lui proposer les aides disponibles (assist) et assurer son suivi (arrange). C'est une méthode validée scientifiquement, utilisée à l'international et recommandée en France par la Haute Autorité de Santé.
5A-QUIT-N est un projet de recherche qui propose une meilleure organisation et une coordination des ressources existantes, structuré autour de la démarche 5A. Le projet est à destination des professionnels de santé effectuant des suivis de grossesse (gynécologues-obstétriciens, sages-femmes et médecins généralistes, exerçant en ville et en maternité) ainsi que les professionnels d'addictologie et tabacologie. 5A-QUIT-N propose de les fédérer autour des formations et outils d'aide à la pratique existants, afin de faire monter ces professionnels en compétences. L'objectif est que les professionnels effectuant des suivis de grossesse prennent en charge le tabagisme des femmes enceintes, et qu'ils puissent les adresser facilement lorsque la situation le nécessite (poly-addictions par exemple). L'adressage se fait alors vers un spécialiste en addictologie ou tabacologie. 5A-QUIT-N propose par ailleurs de travailler l'organisation du parcours de soins de la femme enceinte qui fume afin que l'orientation vers des spécialistes soit facilitée.

Les étapes du développement de 5A-QUIT-N

Plusieurs étapes rythment le développement de 5A-QUIT-N : une étape de développement de l'intervention basée sur la littérature scientifique et la collaboration avec des professionnels de terrain ; une étape pilote visant à tester l'intervention sur le terrain ; une étape de déploiement régional sous forme d'un essai contrôlé randomisé (déploiement dans le temps de l'intervention sur différents territoires, afin de comparer le tabagisme avant et après l'intervention 5A-QUIT-N).

La phase pilote de 5A-QUIT-N

Dans le cadre de la phase test du projet, 5A-QUIT-N a été déployé sur 4 villes : Arcachon, Gujan-Mestras, La Teste-de-Buch et le Teich. Il a mobilisé les professionnels effectuant des suivis de grossesse en ville et à la maternité d'Arcachon, ainsi que les structures spécialisées en addictologie : Comité d'Étude et d'Information sur la Drogue et les Addictions (CEID), Association Addictions France (AAF) et les unités d'addictologie et tabacologie du centre hospitalier d'Arcachon. L'évaluation de ce pilote a montré un vrai impact sur les pratiques des professionnels, lesquels témoignent avoir fait évoluer leur prise en charge dans l'accompagnement au sevrage tabagique des femmes enceintes. Une diminution d'environ un quart de femmes fumeuses à l'accouchement a été observée (21% de femmes fumeuses à l'accouchement avant la mise en place de l'intervention contre 15% l'année suivant sa mise en place).
Le pilote affirme donc la nécessité d'étendre le projet à la Nouvelle-Aquitaine et de mener un essai à large échelle afin de confirmer son efficacité.

La parole aux acteurs

Experts

Philippe Castera, médecin généraliste :
« Si seulement certains médecins généralistes réalisent le suivi de grossesse, tous sont médecins traitants de femmes qui seront enceintes. Comme pour toutes leurs patientes, il est important qu'ils se préoccupent de leurs usages dont le tabagisme, avant, pendant et après la grossesse. Le désir d'enfant est un moment privilégié pour aborder le sujet et proposer un traitement qui diminue l'envie de fumer, ce qui rend accessible l'arrêt. Ils peuvent facilement se former, en présentiel, en ligne ou avec des tutoriels. La nouvelle-Aquitaine leur offre de nombreuses aides pour s'investir sur cette première priorité de santé publique. »
Coordonnées :

Loic Sentilhes, gynécologue-obstétricien :
« Le tabac est évidemment un fléau pour la santé de tous les humains mais particulièrement chez la femme enceinte où il expose deux individus à des graves complications. Chez la femme enceinte, il majore le risque de thrombose veineuse profonde, risque déjà majoré du seul fait de la grossesse, les complications thrombo-emboliques étant une des principales causes de mortalité maternelle. Au cours de la grossesse, il majore le risque de rupture prématurée des membranes, hématome rétroplacentaire, de décès in utero, de restriction de croissance, soit il expose à un risque accru de prématurité ou de mortalité néonatale. De plus, il est important de souligner que les enfants nés prématurés ou en restriction de croissance présentent un risque accru tout au long de leur vie de complications métaboliques (diabète, obésité) et vasculaires (Infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral).
Enfin, la persistance de cette consommation après la naissance majore le risque de mort subite du nourrisson et d'infection. Il est probable qu'il n'y pas de politique de santé publique plus efficiente que celle de réussir à faire arrêter la consommation tabagique des femmes enceintes, ou du moins de la faire diminuer. Le moment de la grossesse est une période particulièrement propice au sevrage car souvent les femmes enceintes consentent à un effort personnel important pour améliorer la santé de leur enfant, effort qu'elles n'auraient potentiellement pas réalisé pour améliorer leur propre santé en dehors de la grossesse. L'arrivée d'un enfant est aussi souvent l'occasion de « bonnes résolutions » et de modifications du mode de vie de la part des couples. Le professionnel de périnatalité a souvent de multiples objectifs et tâches lors de la prise en charge des femmes enceintes (conseils hygiéno-diététiques, prévention des maladies infectieuses, dépistage des violences faites aux femmes, dépistages des aneuploïdies et malformations fœtales, organisation du suivi de grossesse et des différents examens complémentaires recommandés, etc). Sans opposer les missions des professionnels de périnatalité, l'évaluation de l'exposition aux toxiques (tabac, alcool, drogues, perturbateurs endocriniens) et la mise en place de politiques permettant la diminution voire l'arrêt à leur exposition (sevrage) - en particulier celle du tabac du fait du pourcentage de femmes concernées et des effets hautement délétères de ce toxique pour le futur enfant à naître - est l'une des principales missions de tous les professionnels de périnatalité (sages-femmes, médecins généralistes, gynécologues médicaux, gynécologues-obstétriciens, échographistes, pédiatres) ; et leur rôle est essentiel. Cependant, le manque de temps, d'énergie, de connaissance sur le rôle particulièrement toxique du tabac au cours de la grossesse, le souhait de ne pas culpabiliser les femmes tabagiques, les difficultés à évaluer correctement la consommation tabagique, l'absence de connaissance des outils d'aide au sevrage et de connaissance de professionnels ressources (addictologues) en particulier pour les situations les plus difficiles (forte consommation tabagique, poly addiction), sont d'autant de freins au sevrage tabagique. L'initiative A-QUIT-N est en ce sens remarquable puisqu'elle s'appuie sur une méthode éprouvée visant à souligner le rôle majeur du professionnel de périnatalité pour le sevrage tabagique. Les premiers résultats sont très encourageants. Ils confirment la nécessité de mobiliser, informer et aider les professionnels de périnatalité pour le sevrage du tabac chez les femmes enceintes. »
Coordonnées : loic.sentilhes@chu-bordeaux.fr

Mélina Fatseas, psychiatre addictologue :
« Le repérage de la consommation de tabac pendant la grossesse, associé à une proposition d'aide et de suivi constituent un enjeu majeur au vu des conséquences de cette addiction sur la santé de la mère et de l'enfant. D'où la nécessité de renforcer la prise de conscience et la formation des professionnels de la périnatalité, ce qui devrait permettre d'améliorer les connaissances des femmes sur les possibilités d'aide à l'arrêt et de favoriser l'accès à un accompagnement spécifique le plus rapidement possible au cours de la grossesse. La force du projet 5A-QUIT-N est également de promouvoir une approche territoriale favorisant un meilleur accès aux soins à travers l'implication des acteurs de 1ère ligne, et l'articulation avec les structures spécialisées en addictologie pour les cas complexes. Une attention particulière devra être portée sur le maintien dans la durée du suivi et des traitements proposés, particulièrement pendant la période du post-partum qui est associée à un taux élevé de rechute. »
Coordonnées : melina.fatseas@chu-bordeaux.fr

François Alla, médecin de santé publique :
« Le tabagisme de la femme enceinte est une priorité de santé publique de par son ampleur et ses conséquences potentielles. Il l'est aussi parce qu'évitable. Pour cela, l'enjeu principal est d'outiller et d'accompagner les professionnels de santé qui prennent en charge les femmes enceintes pour que chaque contact avec le système de soin soit une occasion de prévention. Il s'agit concrètement d'aborder la question du tabac avec toutes les femmes, puis le cas échéant de mobiliser l'ensemble des ressources à disposition sur un territoire pour maximiser les chances d'arrêt et de maintien pour la femme enceinte.
Le pilote a montré que cette innovation organisationnelle est bien acceptée aussi bien des professionnels que des femmes et produit des résultats encourageants.»
Coordonnées : francois.alla@chu-bordeaux.fr

Politiques de santé

Benoît Elleboode, directeur général de l'ARS-NA :
« Le projet 5A-QUIT-N vise à ce que, de manière systématique, les professionnels de santé qui accompagnent les femmes enceintes soient proactifs et efficaces dans le repérage et l'accompagnement à l'arrêt du tabac. Les acteurs de la périnatalité et de l'addictologie sont ainsi au cœur de ce dispositif, qui est exemplaire à plus d'un titre. Dès sa conception par les chercheurs, le projet a été construit comme une recherche de solution concrète à un problème : plus d'une femme enceinte sur cinq fume encore à la fin de sa grossesse dans notre région, selon les enquêtes. Le projet mobilise les méthodes de la science pour impliquer l'ensemble des professionnels en contact avec la femme enceinte pour son accompagnement soutenu à l'arrêt du tabac. Sa mise en œuvre a fait dialoguer chercheurs, experts de l'addictologie et les acteurs de terrain, en particulier de la périnatalité, qu'ils exercent en libéral, à l'hôpital ou dans les services médico-sociaux. C'est pourquoi l'ARS a soutenu le projet à hauteur de 125 450 € avec les crédits du Fonds de lutte contre les addictions. Les résultats de l'étude pilote montrent une diminution importante du nombre de femmes enceintes. Il s'agit donc d'une voie très prometteuse. Qui dit projet exemplaire et efficace, pose la question de son déploiement : l'ARS sera au rendez-vous de cette perspective. J'en profite pour remercier particulièrement le professeur François Alla, qui a su transformer un constat très défavorable en une politique publique au bénéfice des parents et futurs parents de Nouvelle-Aquitaine. »

Patientes

Patiente 1 :
« Sans l'aide d'une professionnelle, je n'aurais pas pu arrêter. Elle m'a aidée à passer le cap parce que c'est très difficile pour un fumeur d'arrêter de fumer. Moi-même, je ne pensais pas mettre aussi peu de temps []. Je pense qu'elle a eu un bon feeling surtout au niveau du dosage... ».

Patiente 2 :
« J'ai eu une bonne expérience, ça m'a aidé à arrêter. Et pour rien au monde, je ne recommencerai ! Ça m'a fait réfléchir sur ma consommation et tous les effets positifs à arrêter Par exemple, ne plus embrasser ses enfants et entendre : maman, tu ne sens pas bon ! »

Professionnels d'Arcachon

Sage-femme :
« Chaque fois que je le peux, j'essaie de prescrire []. Je le fais vraiment parce que je pense que c'est un plus pour les mamans et les bébés. »

Médecin généraliste :
« Ce que j'ai appris, c'est que ce qui est le plus important, c'est qu'il y ait un suivi, un accompagnement. Peu importent les options thérapeutiques, si l'accompagnement est là, c'est ce qui va aider le plus. »

Spécialistes en addictologie et tabacologie :
« Je pense que plus les professionnels de santé seront sensibilisés, plus on aura de chances d'élargir les possibilités d'accueil des patients qui sont en demande. »


Projet pilote financé par la DGOS, l'INCA et l'ARS.



Informations novembre 2021 -sources dossier de presse CHU de Bordeaux